Web to store: les pure players de l’ecommerce ont-ils un problème ?
Les chiffres impressionnnants de la progression des ventes en ligne occultent une réalité plus contrastée.
Sur les trois premiers mois de l’année 2012, les ventes en ligne ont augmenté de 24% sur un an (source Fevad).
Si les chiffres de la progression des ventes en ligne sont toujours aussi impressionnants, ils ont tendance à occulter une réalité bien plus contrastée:
- En 2011, les ventes en ligne ont représenté entre 7 et 8 % des ventes totales de détail en France (étude « Tendance du commerce en ligne » diffusée par Kelkoo).
- Les chiffres d’affaires des grands ecommerçants augmentent sans cesse, au détriment évidemment de leur marge bénéficiaire (cf. Amazon, dont le CA a progressé de 34 % au premier trimestre 2012, mais dont le bénéfice est en baisse de 35 % sur la même période). On peut se demander à quel moment les investisseurs exigeront un ROI conforme à leurs attentes. Cette course aux parts de marché prélude à notre avis de futurs rapprochements chèrement négociés avec des acteurs « brick and mortars » de la distribution. Reste à savoir qui sera avalé par qui, cela dépendra sans doute du timing …
- Coté alimentaire, les chiffres restent peu brillants. De 1 à 2% du commerce alimentaire réalisé online, le modèle de vente de produits alimentaires avec livraison à domicile a toutes les difficultés à atteindre la rentabilité. En fait, l’ecommerce réussit surtout à de nouveaux entrants qui ont su tirer avantage des faiblesses des réseaux de distribution traditionnels (les livres, les chaussures, sans doute l’optique dans les prochaines années)
- L’Internet est largement perçu par les consommateurs comme le lieu du discount et des bonnes affaires, ce qui a tendance à attirer des acteurs opportunistes (destockage, collections passées, etc.), mais ne favorise ni la fidélité, ni une expérience client différenciante et 100 % internet.
- Enfin, l’augmentation des coûts d’acquisition de nouveaux clients, la volatilité des consommateurs désormais experts «en recherche d’informations», ainsi que la forte dépendance de certains ecommerçants vis-à-vis de Google hypothèquent la pérennité des pure-players du commerce en ligne qui ne disposent d’aucun avantage compétitif durable.
Plus que l’achat direct en ligne, internet influence une part croissante de nos achats en magasin.
A elle seule, la recherche d’informations dans les moteurs de recherche peut générer de 15 à 42 % de conversions en achats selon les catégories de produits (source: étude comScore 2011).
Ces achats, directement influencés par le «search», sont majoritairement réalisés en magasin. Avec l’avènement des réseaux sociaux, des sites d’avis de consommateurs, des blogs spécialisés, etc. l’internet fixe ou mobile jouent un rôle prépondérant avant nos décisions d’achat en magasin.
Taux de conversion recherche/achats – produits peu influencés par l’internet (Source: étude comScore 2011).
Taux de conversion recherche/achats – produits très influencés par l’internet.
% d’acheteurs en magasin (moyenne toutes catégories de produits).
% d’acheteurs en ligne (moyenne toutes catégories de produits).
L’accroissement exponentiel du volume d’information disponible pour évaluer un produit a trois conséquences principales:
- Les consommateurs sont sceptiques vis-à-vis des informations et des communications qui ont pour source les entreprises qui fabriquent ou commercialisent les produits et services (è érosion de l’influence de la publicité et du marketing)
- Le bouche à oreille peut modifier radicalement et durablement la perception que les consommateurs ont d’un produit ou d’une marque, et ce à toutes les étapes du cycle d’achat.
- L’accroissement des dépenses en publicité ne suffit pas à contrecarrer ce phénomène, l’exposition des consommateurs aux medias sociaux, blogs, sites d’avis … étant souvent comparable à leur exposition à la télévision.
Ecommerce et magasin physique: les consommateurs veulent pouvoir profiter des deux.
Selon Nielsen (juin 2012), les consommateurs américains estiment que l’achat en ligne est plus pratique et que l’achat en magasin est plus fiable et plus sûr.
Pour 59 % d’entre eux, l’achat en magasin est leur mode d’achat favori, pour 31 % c’est l’achat depuis l’internet et pour seulement 13 %, l’achat sur téléphone mobile.
Bien entendu, ces chiffres sont variables selon les catégories de produits et services et les pays, mais ils confirment selon nous une tendance de fond: le consommateur a très vite compris tous les avantages qu’il peut tirer d’un comportement d’achat, de recherche d’information et d’échanges avec ses pairs cross-canal.
Googliser pour s’informer, lire les avis de consommateurs, demander son avis à ses «amis» sur Facebook, aller voir en magasin, revenir en ligne pour comparer les meilleures offres, éventuellement retourner en magasin pour finaliser l’achat … Autant de possibilités de parcours d’achat qui viennent perturber le tunnel traditionnel « Attention – Intérêt – Considération – Achat – Fidélité ».
Est-ce la revanche du commerce physique sur le commerce 100 % internet ?
Oui et non. Les commerçants disposant de réseaux physiques ont un avantage compétitif indéniable s’ils savent le revaloriser à l’aune du digital et de l’internet.
A l’opposé, sans magasins physiques, les pure players internet sont limités dans leur expansion: Aquarelle 100% internet n’ira guère plus loin en termes de parts de marché, Pixmania s’y met, Amazon en parle depuis longtemps …
Un challenge pour les réseaux de distribution: posséder les données consommateurs et les intéger à leur dispositif cross-canal.
Développer sa relation client sur Facebook ou proposer une application smartphone avec QR codes sont autant de moyens de multiplier les points de contact mais autant d’occasions de proposer une expérience client «pauvre» et un ROI approximatif si l’on ne dispose d’aucun historique du parcours client, si l’on ne collecte pas les informations utiles et si l’on ne sait pas en extraire la substantifique moelle.
Derrière l’évidence d’une « appli sympa » ou du nombre de « likes » se profilent des enjeux stratégiques et organisationnels que bien peu de marques, même parmi les plus avancées, ont encore réussi à surmonter.
A qui appartiennent les données issues de la plate-forme Facebook ? A Facebook évidemment, même si le réseau social planétaire entrouvre un peu la porte avec le protocole Open Graph. Les bases de données marketing traditionnellement designées pour le marketing direct (dans le meilleur des cas) sont-elles prêtes pour délivrer une expérience client cross-canal homogène ? Bien peu le sont, ce qui explique en partie l’activité encore soutenue des modes de communication traditionnels, téléphone ou mailing papier.
Or, tout commence inévitablement par des tuyaux et un peu de quincaillerie, voir par une dose de cloud computing pour employer un terme d’actualité … Après avoir racheté Radian6 il y a un an pour quelques centaines de millions de dollars, Salesforce a acquis très récemment Buddymedia, plate-forme de gestion centralisée des contenus sur les réseaux sociaux. Presque au même moment, Oracle a suivi le mouvement avec le rachat de Virtrue. On ne compte plus les éditeurs de logiciels 2.0 qui font la danse du ventre pour s’attirer les faveurs d’un repreneur fortuné.
Cette transformation tant attendue (et rabâchée) de l’entreprise organisée en silos vers l’entreprise organisée autour du client ne peut avoir lieu sans des changements profonds qui sont plus culturels que technologiques (à moins de réitérer l’erreur du CRM « technologie à tout faire qui résoud tous les problèmes de tout le monde de la même façon »).
Les managers IT et les managers du marketing vont devoir apprendre à collaborer étroitement. Les départements de la relation client et de la communication consommateurs vont devoir se rapprocher et peut-être fusionner. Les dépenses IT ne seront plus essentiellement orientées vers les gains de productivité et l’optimisation de l’existant mais vers le redesign et la stratégie d’entreprise.
Bref, cette reconquête du cyberespace par les « brick and mortars » va demander du temps, de l’argent et de l’énergie. Allégés du poids de l’existant, les pure players ont une longueur d’avance mais n’ont pas forcément la surface nécessaire pour asseoir leur domination une fois pour toutes.
C’est tout le sens de la croisade du fondateur d’Amazon Jeff Bezos qui a toujours relégué au second plan les «vélléités» de rentabilité à court et moyen terme de ses investisseurs. Asseoir la domination d’Amazon coûte que coûte, faut-il déplaire aux milieux financiers qui alimentent son projet.
Web to shop: le modèle proposé aux magasins physiques par Groupon, Living social, etc. capte plus de valeur qu’il n’en crée.
Sur quoi est basé le fulgurant succès des intermédiaires comme Groupon ou Living social ? Simplement, sur leur capacité à déplacer le point de paiement d’une transaction « post payée » (coupon de réduction, offre de remboursement …) à une transaction pré-payée réalisée en ligne.
Groupon ne supporte aucun stock et pourtant se rémunère comme un grossiste intermédiaire en prélevant 50 % sur un prix déjà discounté.
La grande idée a été de déplacer les flux de paiement de l’activité promotionnelle à l’endroit où les intentions d’achat se forment, c’est-à-dire sur le web.
Ce succès ne doit rien à une quelconque innovation technologique ou à une création de valeur nette pour le commerçant, mais doit beaucoup à une gestion avisée de la rareté et de la limitation dans le temps afin de transformer une intention en acte d’achat. Ajoutez une sélection de commerçants de petite taille et fragmentés, vous obtenez un nouvel intermédiaire coûteux qui n’apporte que peu de valeur à l’écosystème «web to shop».
Groupon, Living social ont mis en évidence l’importance du comportement cross-canal des consommateurs, mais leur réponse n’apporte pas de réelle solution aux petits commerçants ne disposant pas des moyens de mettre en place un système de commercialisation cross-canal.
Fournir la bonne information au bon moment et maîtriser les processus de paiement: deux enablers de la convergence du commerce online et offline.
Nous avons vu qu’en déplaçant simplement le paiement d’offres promotionnelles vers du prépayé, Groupon a réussi à déplacer le pouvoir de négociation du commerçant vers un agent intermédiaire.
Cet agent contrôle maintenant à la fois les données du comportement d’achat et le paiement au distributeur, sans pour autant créer de valeur pour ce dernier. Bien au contraire, le commerçant est marginalisé et le nouvel intermédiaire a tout loisir de proposer les offres d’autres commerçants au même consommateur.
Google, Paypal, Visa et beaucoup d’autres ont élaboré une première version d’une application de porte-monnaie électronique pour smartphones. Pour les réseaux de cartes de crédit/débit établis, ces applications sont une extension des cartes plastique, sans rupture avec le modèle traditionnel.
La vraie rupture pourrait venir des nouveaux entrants comme Google ou Paypal qui possèdent les données consommateurs et peuvent, s’ils le souhaitent, les influencer au moment de l’intention d’achat. Le seul réseau de cartes bancaires qui possède le même avantage est American Express, Visa et Mastercard étant distribués par un réseau de banques partenaires et n’ayant pas accès à la plus grande part des données d’achat.
Le principal changement vient de la capacité de certains acteurs à tirer profit des technologies de l’information pour fournir au consommateur l’information qu’il attend, au moment où il formule une intention d’achat. C’est ce qui a fait le succès des formats publicitaires de Google, alors que Yahoo se cantonnait à un modèle plus traditionnel de vente d’espace publicitaire.
Avec 5 milliards d’êtres humains équipés de téléphones mobiles, dont 50 % des nouveaux terminaux sont des smartphones, de plus en plus de personnes utilisent la possibilité de découvrir leur environnement physique via un terminal mobile connecté.
Beaucoup de catégories de services entrent dans celle des « influenceurs au moment de l’intention d’achat »: les moteurs de recherche bien entendu, mais aussi les sites d’avis, les comparateurs et toutes sortes d’applications qui aideront les consommateurs à prendre leur décision et à se mettre en relation avec le distributeur.
Cette connectivité croissante entre le online et le monde offline influence déjà une part de nos achats bien supérieure à l’achat en ligne. Identifier un produit ou un service en ligne, prépayer ou stocker dans son porte-monnaie électronique un coupon de réduction ou une offre spéciale, transformer cette offre dans le magasin physique … Le parcours client et la chaîne de valeur de la distribution de bien physiques s’en trouvent profondément modifiés.
Il y a fort à parier que les coûts des ces transactions «web to shop» vont rapidement diminuer, se rapprochant des coûts de transaction des opérateurs de cartes bancaires et rendant prohibitives les «taxes» de 30 à 50 % prélevées par des acteurs comme Groupon.
Nous ne serions d’ailleurs pas étonnés de voir très prochainement un nouvel acteur «craquer» le modèle de Groupon, et s’attirer les faveurs des investisseurs. Ce nouvel acteur sera plus pour les commerçants un fournisseur d’infrastructure «web to shop» qu’un concurrent direct.