Optimisation temps réel des achats d’espace pub: entretien avec André Taliercio, Steerads
Olivier Dupin: Steerads est une startup d’origine nord-américaine, canadienne plus précisément. Pouvez-vous résumer l’historique de votre projet ?
André Taliercio: Nous sommes à la fois une société américaine et canadienne. Américaine car le marche est principalement à New York, canadienne car nos algorithmes d’optimisation sont basés sur le « machine learning », plus précisément sur le « deep learning ». Un des fondateurs du deep learning est Yoshua Bengio ; Yoshua est le directeur scientifique de Steerads.
En 2007, j’étais Chief Revenue Officer d’une société de musique en ligne dont le business model était basé sur les revenues publicitaires. J’avais remarqué à l’époque que la publicité digitale était une boite noire où les intermédiaires se gavent de commissions, tout en affichant des résultats incertains et non convaincants.
C’est à ce moment que l’exchange est apparu, ainsi que le Real Time Bidding. Nous avons convaincu le professeur Bengio de l’opportunité de développer des algorithmes basés sur le deep learning et dédiés à l’optimisation des bids publicitaires. Les premiers résultats sont plus qu’encourageants.
OD: Steerads propose d’optimiser les investissements publicitaires sur les médias numériques avec des algorithmes inspirés du trading sur les marchés financiers. En quoi votre approche est-elle différente d’autres acteurs du secteur ?
AT: Notre approche consiste à déterminer en temps réel un prix optimal, en fonction des profiles des utilisateurs et de leurs intentions. Nous sommes les seuls à utiliser le deep learning.
Le machine learning classique est supervisé et établit des liens directs entre les configurations observées des intrants et ce qu’on cherche à prédire (par exemple la présence d’un mot-clé particulier dans une page ou sur une pub, et le fait que l’usager à cliqué ou fait une action intéressante).
Le deep learning exploite l’apprentissage non-supervisé pour établir des liens entre tout ce qui est observé, même quand l’usager ne fait pas l’une des actions intéressantes (cliquer, acheter, etc.). C’est important car les usagers répondent très rarement à la publicité.
Ainsi, on est capable d’extraire des liens sémantiques beaucoup plus profonds (avec plusieurs niveaux de représentation) entre les différentes variables observées, et généraliser beaucoup mieux à de nouveaux cas.
« Nous ne considérons pas le taux de clic (CTR) comme important. »
OD: Quels sont vos retours d’expérience à la fin 2011 ?
AT: Les retours sont plus que satisfaisants : les DSP nous donnent leurs données gratuitement (campagnes passées) pour analyse et nous leur montrons comment nos algorithmes auraient amélioré leurs performances dans des taux qui sont compris entre 30% et 100% pour les clics, et encore plus pour les actions. Nos algorithmes seront mis à l’échelle (pour gérer le volume immense disponible).
OD: le taux de clic des bannières publicitaires sur le net n’a cessé de baisser depuis une quinzaine d’années. Dans le même temps, la publicité dite «d’image» participe à la formation de la perception des consommateurs vis-à-vis d’une marque. Le taux de clic est-il un indicateur universel ? Peut-on faire de l’image sur le net ?
AT: Nous ne considérons pas le taux de clic (CTR) comme important car l’annonceur n’en a que faire s’il n’y a pas de transformation (conversions en actions qui se traduisent éventuellement en ventes). Néanmoins on peut s’en servir pour tester la créativité d’une publicité (avant de s’engager dans une action il faut cliquer). Plus l’utilisateur est ciblé, plus les chances d’une action grandissent. Le branding est possible surtout en RTB où on peut assez bien cibler et miser bas.
OD: Steerads est au croisement de deux technologies d’optimisation: l’optimisation par les coûts avec le RTB – real time bidding et l’optimisation par les profils comportementaux des internautes exposés à la publicité. Laquelle des deux approches est la plus importante selon vous ? Steerads est-il performant sur les deux ?
AT: En fait l’optimisation du cout découle de la qualité des profiles que nous recevons – à travers l’exchange – pour faire tourner nos algorithmes. Cette qualité est pour l’instant aléatoire. Nous essayons de ne pas acheter de données tierces (Bluekai ou Exelate) pour ne pas faire trop monter le prix de nos enchères.
Notre modèle fait un très grand nombre de bids et teste immédiatement la réaction, donc nous n’avons pas de catégories figées de profiles, mais une masse mouvante qui ajuste en permanence la performance des algorithmes.
L’amélioration de la qualité des données sur les utilisateurs devrait être de plus en plus du ressort des éditeurs car ils ont la capacité de mieux contrôler et connaitre le profile de leur visiteurs.
« Le RTB va attirer le premium car les annonceurs et les agences sont attirés par la combinaison transparence/performance. »
OD: Pour l’heure, hors moteurs de recherche, le RTB – real time bidding, est limité aux espaces publicitaires «invendus» et aux contenus de la longue traîne sur internet. Pensez-vous que cette approche puisse se généraliser aux contenus premium et à une plus grande part des stocks d’espace publicitaire disponibles ?
AT: Le marché du RTB est à son enfance et donc il est plus facile pour l’instant d’y déverser l’invendu, soit par les éditeurs eux mêmes, soit par les ad networks. Nous pensons que RTB va attirer le premium car les annonceurs et les agences sont attirés par la combinaison transparence/performance, ce que le RTB offre.
Cela peut être sous forme de private exchange, private auction etc.. mais le marché ne peut que se développer dans ce sens. Ceux qui voudront résister à cette tendance seront ceux qui voudront protéger des marges qui ne seront plus concurrentielles d’ici 18 mois.
OD: Le nombre d’utilisateurs du web mobile dépassera bientôt le nombre d’utilisateurs de l’internet depuis un PC. Le smartphone étant un objet intime et personnel, quels sont selon vous les facteurs clés du succès de la publicité sur ce média ?
AT: Exactement les mêmes. Le smartphone est un véhicule différent qui ajoute un facteur local. Dans tous les cas il s’agit de bien cibler une publicité par rapport à un profile et une intention. Le smartphone introduit une notion qui permet un ciblage géographique très précis. Ceci ouvre le marché du local. Le RTB pour mobile va se développer de la même manière.
Le défi des agences/DSP/trading desk sera d’allouer/dispatcher les budgets en temps réel : si une campagne performe très bien sur Facebook à un moment donné et dans une géographie particulière, les budgets doivent pourvoir être augmentés en temps réel pour amplifier cette performance.
OD : Google, puis Yahoo et Microsoft, ont été les premiers à mettre en place des mécanismes d’optimisation des achats de publicités pour leurs propres domaines et pour des sites tiers de la longue traîne. Pensez-vous qu’ un «meta acteur» puisse un jour émerger ? Si oui, quels sont les risques et opportunités pour les annonceurs ?
AT: Ce marché est passionnant car tout est ouvert et possible ; c’est une des raisons qui nous motive. Il ne faut avoir aucun complexe vis-à-vis des grands.
Google a créé un exchange RTB basé sur le rachat de DoubleClick ; ils ont racheté un DSP (Invite) et un SSP (Admeld), donc ils une chaine complète. Les clients ne sont pas ravis et restent assez en position d’attente. Yahoo a bien racheté Right Media, mais ne l’a vraiment jamais ouvert et vu leurs problèmes, on parle de spin-off revente. Microsoft a jeté l’éponge et a confié son futur dans ce domaine à AppNexus.
Mon opinion est que le futur du RTB réside dans les gestionnaires de tuyaux comme AppNexus où il est possible d’y assoir son propre bidder ou autres technologies ; Mediamath semble aussi prendre cette voie. Invite va devoir s’ouvrir.
Donc on y voit une grande opportunité pour nous : l’externalisation de l’optimisation, qui est une technologie complexe, mouvante qui requiert d’énormes investissements et où les compétences sont rares.
« Les Bluekai et Exelate se sont développés sur la faiblesse de collecte des données utilisateurs par les éditeurs. »
OD : Finalement, le nerf de la guerre, ce sont les données disponibles et exploitables. Quelle est la place des éditeurs de contenus au sein de cette nouvelle arène concurrentielle ?
AT: Les Bluekai et Exelate se sont développés sur la faiblesse de collecte des données utilisateurs par les éditeurs sur leurs sites et la « data linkage ». Ils ont maintenant l’opportunité de vendre des « first party data », donc d’augmenter leurs revenus en passant ces données plus riches à l’exchange.
OD : Que pensez-vous de la différenciation par la créativité du message, des dispositifs de campagnes et des contenus ? Les publicitaires sont-ils condamnés à devenir des experts du data mining ?
AT: Non c’est l’inverse. Le data mining c’est nous, de cette façon ils peuvent se concentrer sur la créativité du message. L’erreur est de vouloir embrasser toutes les technologies, d’y divertir des ressources précieuses et d’oublier son métier de base.
OD : Le data mining et la «créativité publicitaire » sont deux disciplines traditionnellement très éloignées, voir en opposition, surtout en France. Comment voyez-vous la cohabitation de ces deux cultures au sein des agences et intermédiaires mandatés par les marques ?
AT: Les agences doivent rester compétitives sur la créativité et être transparente sur leurs activités et marges. Avoir un trading desk n’est peut être pas une bonne idée, même si c’est tentant.
Il faut externaliser le traitement du data mining, sinon les agences vont s’affaiblir et laisser la place à de nouveaux entrant qui seront très pointus en créativité et seront très organisés en outsourcing de compétences.
Je voudrais aussi rajouter que le machine learning peut être utilisé pour exploiter une très grande variété d’annonces publicitaires en adaptant leur sélection particulière au profil de l’usager. Ainsi, plutôt que de sortir deux, trois ou quatre annonces, le publicitaire peut créer une famille d’annonces qui varient par la combinaison de différents éléments (choix de certains mots ou phrases, choix d’éléments visuels, taille, etc.).
Par la suite, le genre d’algorithme que nous avons permet de cibler les variantes qui fonctionne le mieux selon le contexte, s’adapter à l’évolution des préférences, etc.
OD: André Taliercio, merci pour cet entretien.
AT: Avec plaisir.